SAINT ABSALON PRIEZ POUR NOUS
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Antenne 2 fait dans le publi-reportage1 furtif. Ce lundi soir on nous annonce la nouvelle mode à NY: des logements dans des petits casiers de 9 mètres carrés avec lit pliant, table de cuisine pliante, tout pliant, pour faire se succéder dans le même espace les fonctions indispensables d’un logement, autrefois étalées sur plusieurs pièces, par exemple dans un F3 de HLM, dans un gaspillage coupable de ressources.
« Ce sont les jeunes qui veulent ça, explique l’architecte, ils s’en fichent d’avoir de la surface, ils veulent être dans le mouve, là où ça se passe, dans les grandes villes, et la surface n’a plus d’importance pour eux« . Monsieur l’architecte, avec sa barbe de Father-Pilgrim, connait bien les jeunes et sait bien ce qu’ils veulent.
Accessoirement il y a aussi une autre petite raison: une loi interdisant de construire aux USA des logements de moins de 15 mètres carrés vient tout juste d’être abrogée. Cette abrogation ouvre, nous dit officiellement le journaliste A2, « un marché prometteur pour les entreprises!« . On se croirait sur BFM. Voilà le retour de la « publicité clandestine », concept des années 70 qui avait fait l’objet, à l’époque, d’un grand élan citoyen et vertueux d’éradication.
Quid de la réflexion sur l’espace vital? Quid de l’urbanisme? Pourquoi a-on abrogé cette loi? Sur quel principe reposait-elle? Pourquoi ce principe est-il aujourd’hui dépassé?
On est pas sur une chaîne publique? Je me suis trompé de bouton ou quoi?
Ah! Super! Voici le retour de la croissance économique appuyée sur la décroissance de l’espace vital. Tour de passe-passe télévisuel. Enjeu: un studio « normal » se loue 1500 $ à NY. Alors, pour ceux qui n’ont que 1000 $, il faut bien pouvoir leur louer quelque chose, il y aura les appartements-cabines. On trouve toujours un ou deux jeunes qui sont contents pour appuyer les propos de l’architecte promoteur; mais évidemment aucun qui y habite depuis 3 ans… On empilera les caissons les uns sur les autres, et ça pourra même ressembler à un vrai HLM, que demande le peuple? 1
Comme d’habitude un artiste était au coin du bois en avant-garde, il y a une trentaine d’années. Absalon († 1993), qui exposait comme sculptures/espace des caissons d’habitation ramenés au minimum pour assurer les fonctions vitales, les toilette dépliantes prenant la place de la table du repas avant de se transformer en lit, etc… Il construisait cela à la main en aggloméré, pint en blanc ça faisait penser à une capsule spatiale, froidement éclairée par un unique tube fluorescent comme dans les kebabs.
A l’époque, c’était déjà la crise, mais ça faisait science-fiction, module minimum du survie aux confins glacés de la galaxie. Eh bien voici venu le moment d’entrer en vrai dans cet avenir radieux. Bientôt le cercueil avec iPad intégré… c’est le progrès, qui, comme dit P.Meyer, fait rage.
Le même syndrôme d’adaptation à la société tout-économique, déjà entendu chez France-Inter, se manifeste sur cette chaîne publique de télé. Commercialisation enthousiaste, Plus de chiffres ! Plus de prix ! sous couleur de modernisation. Ça doit être aussi la faute des jeunes qui préfèrent ça comme ils préfèrent, selon l’architecte du reportage, vivre dans deux mètres carrés parce que c’est plus moderne 2 . Le non-dit: impensable que le marché recule, impensable qu’on oblige les propriétaires à louer à des prix décents des surfaces décentes, ça fait vieille gauche, on n’est pas chez Staline tout de même, Oh, la la !… Manquent plus sur le plateau que Mr et Mme Ténardier 3 , chers amis bonsoir, entrez donc, asseyez-vous, nous avons beaucoup à apprendre de vous.
[1] Un publi-reportage est un reportage effectué en « traînant les pieds » par les journalistes dignes de ce nom, à la demande d’un client qui a déjà acheté beaucoup d’emplacements publicitaires dans le media; il est alors devenu impossible de lui refuser un article dans la catégorie « information normale ». Et depuis longtemps déjà les commerciaux, écran de fumée en bandoulière, revendiquent, d’appeler la réclame de l' »information commerciale ».
[2] Rétrécissement à recouper avec les « emplois-passe-temps-pour-jeunes » analysés par Naomi Klein …
[3] Mr et Mme Ténardier sont les cupides infâmes qui prennent en pension la petite Cosette, l’exploitent, ruinent sa mère, la poussent à la prostitution et enfin au suicide, dans « Les misérables » de Victor Hugo. Lequel eût été bien épaté si on lui avait dit qu’il écrivait aussi de la science-fiction.