Artistes @ Home 5 – Pol GUEZENNEC

Présentation de Pol GUEZENNEC par Jean-Yves PENNEC, lors du vernissage.

  Chez Michel Canevet dans le quartier du Moulin Vert, Pol Guezennec vous invite à suivre le fil de sa trajectoire d’artiste. Quarante années de recherche et de pratique artistique qui ont vu évoluer ses préoccupations, ses créations, mais aussi ses outils.

  C’est tout d’abord vers la peinture que s’inclinent ses préférences. Ce médium  sera la caractéristique  essentielle de sa production des années 80 aux années 2000. On y notera une présence sensible de la couleur noire qu’il préfère alors paradoxalement à la fameuse toile blanche avant de procéder à tout recouvrement.

  A cette époque (les années 2000) il s’intéresse aussi beaucoup à la question du public, de la réception de ceux qui viennent voir, et au moyen de parvenir avec eux à un réel partage de l’art. Ce sont les beaux jours des « Murs Baladeurs » dont beaucoup se souviennent, aventure dans laquelle il entraine une bande joyeuse d’artistes amateurs qui suivent ses cours à l’école d’art. Pol Guezennec a toujours eu et a encore aujourd’hui  les préoccupations d’un pédagogue qui sont constitutives de sa profonde identité d’artiste et de sa sincère volonté d’établir une rencontre avec l’autre.

  Les bouleversements  apportés par la révolution numérique ne l’ont pas laissé sur le côté de la route, mais au contraire ont suscité chez lui un réel engouement et l’ont poussé rapidement à s’approprier au mieux le vocabulaire et la syntaxe de ce langage neuf. C’est ainsi qu’il s’est armé de nouveaux outils, en étroite résonnance avec son époque. Le voilà décidé de poursuivre l’aventure de la peinture mais cette fois avec la complicité de son ordinateur.

  Dans le bureau de la maison de Michel Canevet, vous pourrez assister de visu à cette mutation, à ce passage puisque l’artiste a disposé au mur un ensemble de petites peintures qui témoignent de sa première période de création. Ces toiles distribuent leurs notes colorées autour d’un écran d’ordinateur qui affiche comme elles un rectangle sur lequel deux points noirs centrés vous regardent les dévisager.

  Sur l’écran défilent les étapes successives d’un programme qui modifie peu à peu, par l’agencement vertical des couleurs, la figure changeante  de la toile numérique. Ces variations, que Pol Guezennec intitule «  ATUA » en référence au nom que les Maoris donnaient aux divinités anciennes et que le livre de Victor Segalen : « Les immémoriaux » évoque fréquemment, ces variations fascinent et captent sans fin le regard.

  Dans la grande pièce de la maison, c’est un autre pan du travail de Pol qui est installé. Dix petits formats sous verre présentent  des juxtapositions binaires de tirages photographiques. Ces images mises en couple par l’artiste, ont des origines diverses : elles peuvent provenir de l’Histoire, de l’histoire de l’art, de la vie de tous les jours, de l’intime. Cette confrontation parvient à déclencher chez le regardeur le même type d’émotion  qu’une peinture, et ceci par les liens qui s’établissent d’un cliché à l’autre, par les oppositions, les proximités, le sens, l’imaginaire qu’ils convoquent. Tout cela se conjuguant  par la mystérieuse alchimie qui s’opère dans le « travail » du regard.

  Sur l’écran de l’ordinateur la même juxtaposition d’images, aléatoires cette fois, défile en boucle, sollicitant chez le visiteur la même attention, la même exigence de lecture.

  Le peintre qu’est resté Pol Guezennec a donc su accueillir avec profit les vagues successives de la révolution numérique. Son œuvre en fait la preuve aujourd’hui. Elle nous invite à réactiver notre intelligence visuelle du monde pour  mieux le décrypter, à  le regarder autrement , et donc  à mieux y voir.

Jean Yves Pennec, 25 Mars 2023

1912 mort de la Terre

« Puis, la planète laissa prospérer l’homme : son règne fut le plus féroce, le plus puissant – et le dernier. Il fut le destructeur prodigieux de la vie. Les forêts moururent et leurs hôtes sans nombre, toute bête fut exterminée ou avilie. Et il y eut un temps où les énergies subtiles et les minéraux obscurs semblèrent eux-mêmes esclaves ; le vainqueur capta jusqu’à la force mystérieuse qui a assemblé les atomes… »

J.-H. Rosny aîné.
« La Mort de la Terre – contes »  Plon, 1912. iBooks  p.250 – wikisources

Avant élections avec Jack London

Police_whitechapel_G.Doré
Police @ whitechapel par Gustave DORÉ

Sur le trottoir visqueux et humide de crachats, ils ramassaient des morceaux de pelures d’oranges et de pommes, des queues de grappes de raisins, et les mangeaient. Ils faisaient craquer entre leurs dents les noyaux de reines-claudes pour en faire sortir l’amande. Ils ramassaient des miettes de pain de la grosseur d’un pois, et des trognons de pommes si noirs et si sales qu’ils n’en avaient même plus l’apparence. Et ces deux hommes portaient à leur bouche toutes ces choses repoussantes, les mâchaient et les avalaient. Et cela, entre six et sept heures, dans cette soirée du 20 août de l’an de grâce 1902, dans le cœur de l’empire le plus vaste, le plus flottant et le plus puissant que le monde ait jamais connu.

Jack London à Londres, « Le peuple de l’abîme », 1902

Je laisse aux économistes compétents le soin d’énoncer avec une légitime fierté de COMBIEN la richesse absolue a augmenté en 1,15 SIÈCLE. Je laisse à chacun le soin de dénombrer les chômeurs et perdants en tous genres de ce totalitarisme économique, qui laisse, malgré cet accroissement inimaginable des richesses, toujours autant de pauvres à la porte, et de plus en plus à la rue.
Quelle CROISSANCE ?

Ce qui advient

Quimper qui laissa échapper en 1971 les facs vers Brest, de peur qu’il y ait des jeunes et que ça fasse du bruit, ferme cette semaine un centre d’art contemporain consacré aux artistes encore vivants, ouvert dans les années 90.
Décidément on aime beaucoup les traditions ici et rien n’est destiné à changer aux pays des nuages qui pleuvent sur de vieux cailloux . La seule modernité tolérée est celle de porcheries industrielles polluantes qui nous obligent à nager dans de la salade.

CE QUI ADVIENT
Antonio Gramsci
Pourquoi je hais l’indifférence p.56

Ce qui advient, n’advient pas tant parce que quelques uns veulent que cela advienne, mais parce que la masse des hommes abdique sa volonté, laisse faire, laisse s’amasser les nœuds que seule une épée pourra ensuite trancher, laisse promulguer les lois que seule une révolte pourra ensuite abroger, laisse arriver au pouvoir les hommes que seule une mutinerie pourra ensuite renverser.
En réalité, la fatalité qui semble dominer l’histoire n’est rien d’autre que l’apparence illusoire de cette indifférence, de cet absentéisme. Des fait mûrissent dans l’ombre, quelques mains, qui échappent à tout contrôle, tissent la toile de la vie collective et la masse l’ignore parce qu’elle  ne s’en soucie pas. Les destins d’une époque se trouvent ainsi manipulés en fonction des visions étroites, des objectifs immédiats, des ambitions et des passions personnelles de petites groupes actifs, et la masse l’ignore parce qu’elle ne s’en soucie pas. Mais les faits qui ont mûri finissent par se déclarer; mais la toile tissée dans l’ombre est enfin achevée; et alors il semble que la fatalité emporte les choses et les hommes, il semble que l’histoire ne soit qu’un énorme phénomène naturel, une éruption, un tremblement de terre, duquel tous sont victimes, ceux qui l’ont voulu et ceux qui ne l’ont pas voulu, ceux qui savaient et ceux qui ne savaient pas, ceux qui avaient une part active et ceux qui étaient indifférents. Et ces derniers se fâchent, voudraient échapper aux conséquences, ils voudraient qu’il soit clair que non, ils ne voulaient pas cela, que non, ils ne sont pas responsables. Certains se mettent à pleurnicher de manière pathétique, d’autres blasphèment de manière obscène, mais rares sont ceux qui se demandent: et si moi j’avais fait mon devoir, si j’avais tenté de faire valoir ma volonté, mon avis, est-ce que ce qui s’est passé se serait passé? Pourtant ils sont rares ceux qui se reprochent leur indifférence, leur septicisme, et plus rares encore ceux qui regrettent de ne pas avoir prêté leurs bras et leur activité à ces groupes de citoyens qui ont combattu et se sont proposé de procurer tel ou tel bien, précisement pour éviter ce mal.
La plupart d’entre eux, au contraire, une fois que les événements ont eu lieu, préfèrent parler d’échecs idéaux, de programmes qui se sont effondrés de manière définitive, et autres aménités.

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Olympia de Edouard Manet , 1863, Édouard Manet Wikimedia Commons
Olympia de Edouard Manet , 1863, [Public domain] via Wikimedia Commons
“La peinture de nus provoque encore dans la fraction la moins cultivée du public des réactions scandalisées du type de celles que Manet avait recueillies. Et, au même titre que la peinture d’objets insignifiants, la photographie d’un tas de galets suscite la même indignation: “Ils ont de la pellicule à dépenser, du temps à perdre…” C’est pourquoi le populisme (…) peut se faire plébisciter immédiatement. Si vous dites: “Comment peut-on gaspiller l’argent de l’Etat pour photographier des galets?”, vous êtes sûr d’avoir le peuple avec vous, ce qui ne veut pas dire que vous ayez raison, ni esthétiquement ni politiquement.”

Pierre Bourdieu, "La révolution symbolique", p.73, Seuil, 2013